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Ruy Blas

       Après avoir vu la pièce au TNP de Villeurbanne,
quelques vers de Victor Hugo,
1838,
brûlants d'actualité !
(R. K. 2011)


ViVictor Hugo : RUY BLAS - Acte III - Scène II -

Cet extrait est un véritable réquisitoire contre les puissants (la noblesse à l'époque) à travers lequel Ruy Blas montre que les ennemis du pays sont au sein même du pays. C'est une dénonciation de la corruption et des manigances. Victor Hugo (par la voix de Ruy Blas) défend et fait l'éloge du peuple qui trime et qui trinque par la faute de ceux qui détiennent le pouvoir :

Une dénonciation de la corruption
- Apostrophes et ironie
- Une accusation

La décadence du pays
- Un empire anciennement puissant
- Un pays sur le déclin

Une société en crise
- État indigent, peuple misérable, vols
- Des luttes internes déchirent le royaume

----------------- Extrait ----------------

Ruy Blas, survenant devant les conseillers qui ruinent l’Espagne

Bon appétit, messieurs ! –

Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude. Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.

Ô ministres intègres !

Conseillers vertueux ! Voilà votre façon

De servir, serviteurs qui pillez la maison !

Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,

L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !

Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts

Que remplir votre poche et vous enfuir après !

Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,

Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !

Mais – voyez, regardez, ayez quelque pudeur.

L’Espagne et sa vertu, l'Espagne et sa grandeur,

Tout s'en va. – nous avons, depuis Philippe Quatre,

Perdu le Portugal, le Brésil, sans combattre ;

En Alsace Brisach, Steinfort en Luxembourg ;

Et toute la Comté jusqu'au dernier faubourg ;

Le Roussillon, Ormuz, Goa, cinq mille lieues

De côte, et Fernambouc, et les montagnes bleues !

Mais voyez. – du ponant jusques à l'orient,

L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.

Comme si votre roi n'était plus qu'un fantôme,

La Hollande et l'anglais partagent ce royaume ;

Rome vous trompe ; il faut ne risquer qu'à demi

Une armée en Piémont, quoique pays ami ;

La Savoie et son duc sont pleins de précipices.

La France pour vous prendre attend des jours propices.

L’Autriche aussi vous guette. Et l'infant bavarois

Se meurt, vous le savez. – quant à vos vice-rois,

Médina, fou d'amour, emplit Naples d'esclandres,

Vaudémont vend Milan, Leganez perd les Flandres.

Quel remède à cela ? – l'état est indigent,

L'état est épuisé de troupes et d'argent ;

Nous avons sur la mer, où Dieu met ses colères,

Perdu trois cents vaisseaux, sans compter les galères.

Et vous osez ! ... – messieurs, en vingt ans, songez-y,

Le peuple, – j'en ai fait le compte, et c'est ainsi ! –

Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,

Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,

Le peuple misérable, et qu'on pressure encor,

À sué quatre cent trente millions d'or !

Et ce n'est pas assez ! Et vous voulez, mes maîtres ! ... –

Ah ! J'ai honte pour vous ! – au dedans, routiers, reîtres,

Vont battant le pays et brûlant la moisson.

L'escopette est braquée au coin de tout buisson.

Comme si c'était peu de la guerre des princes,

Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,

Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,

Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu !

Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;

L'herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d'œuvres.

Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.

L’Espagne est un égout où vient l'impureté

De toute nation. – tout seigneur à ses gages

À cent coupe-jarrets qui parlent cent langages.

Génois, sardes, flamands, Babel est dans Madrid.

L'alguazil, dur au pauvre, au riche s'attendrit.

La nuit on assassine, et chacun crie : à l'aide ! –

Hier on m'a volé, moi, près du pont de Tolède ! –

La moitié de Madrid pille l'autre moitié.

Tous les juges vendus. Pas un soldat payé.

Anciens vainqueurs du monde, espagnols que nous sommes.

Quelle armée avons-nous ? À peine six mille hommes,

Qui vont pieds nus. Des gueux, des juifs, des montagnards,

S'habillant d'une loque et s'armant de poignards.

Extrait de Ruy Blas - Victor Hugo (écrit en 1838)

Vous avez transposé à la France d'aujourd'hui ...