Le parler Lyonnais

Citation Lyon Capitale N° 399 - mercredi 30 octobre 2002 Tout sur la langue des gones

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Une figure lyonnaise

Les origines du parler lyonnais :
le franco-provençal

Le franco-provençal est la langue gallo-romaine issue de la latinisation qui a rayonné à partir de Lugdunum. Toute la région de Lyon, des Monts du Forez à l’ouest à la Suisse romande et au Val d’Aoste à l’est, a connu une romanisation particulière, due à son statut de “capitale des Gaules” maintes fois visitée par les empereurs, et à sa position géographique de nœud de communication et de passage obligé vers l’Italie.

On pense que la latinisation de cette aire franco-provençale s’est faite avec un latin assez pur, littéraire et poétique. “Lyon a aimé le beau langage”, souligne Anne-Marie Vurpas, chercheur à l’Institut Pierre Gardette de Lyon. Le franco-provençal utilise ainsi un continuateur du latin feta, mot poétique utilisé chez Virgile et signifiant originellement “femelle qui a mis bas”, alors que le mot français “brebis” vient de berbrix, déformation populaire de vervex, bélier.

Ce que l’on appelle le parler lyonnais, c’est donc la réalisation locale du dialecte franco-provençal.

Le seul élément fédérateur Rhône-Alpin

Le domaine franco-provençal constitue une ellipse, dont les foyers sont Lyon et Genève, et inclut très précisément tous les départements de l’entité administrative “Région Rhône-Alpes”, à l’exception peut-être du sud de l’Ardèche et de la Drôme, plus proches de l’occitan. “Cette langue constitue peut-être le seul trait commun à Rhône-Alpes qui épouse la même communauté linguistique”, souligne Anne-Marie Vurpas.

La “Bible” : le Littré de la Grand’Côte

Publié en 1894, le Littré de la Grand’Côte, de Nizier du Puitspelu alias Clair Tisseur, figure en bonne place dans toutes les bibliothèques lyonnaises. Ce dictionnaire du “parler lyonnais”, concentré drolatique et inspiré de l’esprit lyonnais, est un vrai phénomène d’édition. “Émerveillé par l’humour et la force de cet ouvrage qui, à travers le langage, présente toute une région, j’ai cherché à le rééditer en arrivant à Lyon, en 1980”, raconte l’éditeur et libraire Jean Honoré. En dix jours, les 2.000 exemplaires sont épuisés. “C’est le miracle lyonnais, une incroyable aventure ! Le téléphone n’arrêtait pas de sonner et la porte de la librairie, de s’ouvrir sur un public très populaire de concierges, d’épiciers, etc. Pour faire ce score, il ne faut pas que des bobos ou des intellos ! De toute façon, j’ai toujours dit : Lyon est le meilleur public de France pour sa ville”, assure l’heureux éditeur. Plus de 16.000 exemplaires ont été réédités à ce jour et le succès ne s’est jamais démenti. “Ça va bien plus loin qu’un dictionnaire : c’est un livre à poser sur sa table de chevet ; on en lit quelques pages tous les soirs et on s’endort comme un bienheureux !”, affirme Jean Honoré.

La Librairie des Terreaux de Jean Honoré se situe au 20, rue d’Algérie, Lyon 1er. 04 78 28 10 69.

Linguistique

L’accent lyonnais

Les traits les plus marquants de la prononciation sont le rapprochement du a avec le o (autrement dit, la vélarisation du a tonique : avocat prononcé avocât), le rapprochement du o ouvert avec le eu (bord prononcé comme beur), et la fermeture du eu ouvert (jeune prononcé comme jeûne).

Les régionalismes grammaticaux

Les plus vivants sont sans doute l’emploi des adjectifs verbaux (trempe pour trempé, gonfle pour gonflé) et surtout, l’emploi de “y” comme pronom neutre complément d’objet direct (“j’y sais depuis que tu m’y as dit”). L’emploi de ce neutre est une survivance de notre patois, qui avait trois genres : féminin, masculin, et neutre (hoc, ceci). Le passage au français a entraîné un manque (disparition du neutre), compensé par le “y”. “Ce n’est donc pas un solécisme ou un barbarisme, ni quelque chose de honteux, mais une carence de notre langue”, souligne Anne-Marie Vurpas.

Un français qui n’a pas réussi

Le dialecte franco-provençal repose, à égalité, sur une tradition aussi longue que celle du français, mais petit à petit, à cause des vicissitudes de l’histoire et de la politique, il a été devancé par le français, puis déprécié. Autre raison : le franco-provençal est de tradition orale et n’a pas accédé au rang de langue de culture, comme l’ont fait d’autres langues régionales (notamment l’occitan), et les productions littéraires sont restées limitées. “Il n’est pas étonnant que Pierre Gardette ait utilisé l’expression “grande méconnue” lorsqu’il a présenté la langue lyonnaise dans son discours de réception à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon en 1956”, souligne l’anthropologue Jean-Baptiste Martin.

Un parler en voie d’extinction

Lyon a délaissé le franco-provençal au profit de la langue du roi dès la fin du Moyen-Âge, pour devenir alors un important centre de diffusion du français. Lyon a ensuite connu un important brassage de population, perdant un grand nombre des traits régionaux qui coloraient sa langue au cours des siècles passés. La situation est sensiblement différente dans les campagnes environnantes, et notamment dans les Monts du Lyonnais, la Bresse, et surtout entre Bourg et la Saône, où certains parlent encore une déclinaison lyonnaise du franco-provençal.
La Grande guerre, l’école de la République, le mépris et le centralisme français, puis la fameuse mondialisation ont parachevé la disparition du patois lyonnais. Si l’on compare les relevés de Nizier du Puitspelu dans Le Littré de la Grand’Côte (1894) et les résultats des enquêtes pour préparer l’ouvrage Le parler lyonnais paru en 1993, on constate une déperdition de plus des deux tiers du vocabulaire au cours du XXe siècle. “En éliminant tous les mots disparus, j’arrive à peu près à mille mots”, relève Anne-Marie Vurpas, qui assure qu’un tiers est demeuré vivace et confie en employer couramment cent cinquante.

Dans une génération, c’est fini

“Les enjeux sont les mêmes au fin fond de l’Amazonie et ici”, assure l’assistant-chercheur à l’institut Pierre Gardette Michel Bert, reprenant une prédiction du linguiste Claude Hagège : “La moitié des langues va disparaître dans le siècle”. “Le franco-provençal en fera partie”, estime l’assistant-chercheur. Sa collègue Anne-Marie Vurpas est plus catégorique encore : “Dans une génération, ce sera fini”.

Les survivants

Les mots qui ont les meilleures chances de survie portent sur les particularités locales (traboules) et notamment les spécialités culinaires (bouchon, mâchon, pot, bugne, cervelle de canut, gratton, rosette, etc.) ou les termes affectifs souvent liés à des souvenirs d’enfance (gone, belin, fenotte, etc.). Les mots très précis qui n’ont pas trouvé d’équivalent en français ont également plus de chances de se maintenir, comme cigogner (secouer avec un mouvement de va-et-vient). Enfin, dernière catégorie de survivants : les termes qui servent de marqueurs d’identité, comme gone, mais ce critère fonctionne assez peu en Rhône-Alpes - contrairement à la Bretagne, par exemple, qui a une forte identité ethnique.

Les Lyonnais naturalisés Français

Un certain nombre de mots de notre région, Guignol en tête, ont perdu leur caractère régional en passant dans le français commun. “C’est le cas aussi d’une série d’autres mots appartenant le plus souvent au registre familier : bafouiller, jacasser, ronchonner, décaniller, vadrouille, moutard, frangin, rapetasser, flapi, dégobiller…”, relève Henriette Walter dans "l’aventure des mots français venus d’ailleurs". La célèbre linguiste observe également que “C’est sans doute chez les canuts que s’est d’abord diffusé le mot échantillon, né dans la région lyonnaise du verbe échandiller : vérifier les mesures des marchands”.

Le parler de Guignol

GuignolAu XIXe siècle, les Canuts de la Croix-Rousse, sans doute en réaction à la bourgeoisie lyonnaise, ont développé un argot lyonnais illustré par la littérature de Guignol. C’est toujours une dérivation du franco-provençal, avec une exagération drôle et expressive de certains traits phonétiques et grammaticaux. La langue de Guignol se compose ainsi de nombreuses déformations et créations expressives (esprité pour plein d’esprit, explicationner pour donner des explications, lantibardanner pour traîner au lit…). Elle opère également des rapprochements cocasses avec des mots aux sonorités proches (voix de centaire pour voix de stentor, automaboule pour automobile, rhinoféroce pour rhinocéros, trait d’ognon pour trait d’union, etc.). Basée au musée Gadagne, l’Association des Amis de Lyon et de Guignol se démène pour défendre et illustrer le parler de Guignol. Présidée par Gérard Truchet, qui a “attrapé ces mots quand il était petit, à la Guillotière”, l’association dispense depuis cinq ans à plus d'une centaine de curieux des cours mensuels de parler lyonnais, mettant en scène de façon très vivante ce langage imagé.

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